Axel Vervoordt (fra)

A l’essence de soi

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C’est l’une de ces personnes qui semblent avoir trouvé la vie qui leur convient tant, qui semblent comblés en tout point quoi qu’ils fassent et se trouvent exactement à la place qui leur était prédestinée. Le plus inouï, c’est qu’il semble en être conscient, ne se départant jamais d’une certaine allégresse au sujet de ce que la vie lui offre et qu’il partage avec générosité.

J’adore ces gens. Ceux en qui jaillissent sans cesse des idées et qui se créent de nouvelles aventures à un âge où la plupart songeraient à se retirer dans le confort. Ceux pour qui le travail est création et joie, ceux qui refusent la monotonie du quotidien et qui assument totalement que la beauté et l’amusement soient une part importante de la vie.

© Bertrand Limbourg 

Antiquaire, artiste, architecte ou décorateur, il ne sait pas lui-même comment on peut le définir mais, quoi qu’il en soit, son considérable succès ne fait aucun doute lorsqu’on sait qu’il a créé des intérieurs pour de nombreuses célébrités (Robert de Niro, Kanye West, Bill Gates, Sting, Calvin Klein,…) et qu’il fut le père d’expositions aussi renommées qu’“Artempo”, “In-finitum” et “Proportio” au Palazzo Fortuny à Venise

Mais qu’est-ce qui rend cet homme si exceptionnel ? C’est difficile à expliquer et tout à la fois manifeste. Difficile à expliquer car le monde est plein d’architectes d’intérieur talentueux s’exprimant sur le même terrain que Vervoordt : le style “usagé” qui semble avoir “découvert, pas fabriqué” comme un article de Vogue l’a défini. Manifeste car les installations de Vervoordt possèdent une qualité très particulière, trop souvent définie par le terme “intemporelle” alors que “métaphysique” semble plus approprié.

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Axel Vervoordt est un penseur et il transcende sa pensée dans son travail. Autant les espaces qu’il crée semblent être le produit du hasard, d’objets accumulés au fil du temps, au gré des circonstances, autant l’on ressent intensément qu’une idée les sous-tend, qu’une philosophie étaie leur esthétique.

L’artiste-antiquaire-architecte belge aime les antiquités et apprécie la nature. Mais son amour pour l’ancien, loin de participer de la nostalgie, bâtit l’avenir. La chaise usagée, avec son passé, sa vie et son âme, offre non seulement l’énergie de son histoire mais permet aussi de ne pas gaspiller de ressources pour sa re-fabrication. La réutilisation créative de l’objet, en association avec d’autres objets, constitue la base idéologique de la récupération qui devient une nécessité essentielle à notre époque. Pour Vervoordt, donc, les antiquités sont aujourd’hui plus que jamais pertinentes. La récupération n’est cependant pas une obligation accablante mais une perspective enchanteresse. Il déclare que “nous devons créer une nouvelle harmonie”.

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Dans la nature, il aime ce que crée le hasard lorsque des matériaux sont soumis aux éléments et en observer le processus. “Je converse avec la nature, révèle-t-il, mais je suis conscient que la nature doit toujours avoir le dernier mot.” Cette pensée est liée à la vénération pour l’infinitude, “l’infinitum”. “On peut rechercher la perfection mais nous devons comprendre qu’elle n’existe pas dans nos vies et nous devrions établir un espace pour tout ce que nous n’achevons pas car l’infini, le divin, y est contenu.” C’est toute la beauté de l’imperfection et, par la même, la définition de la beauté par Vervoordt : une harmonie avec son environnement plutôt qu’avec l’esthétique elle-même.

Il y a de la magnificence dans cette réduction à l’essence, dans la plus grande utilisation possible de la récupération tout en y cherchant beauté et harmonie. Une magnificence moderne, pourrait-on dire. Mais une magnificence qui exige d’autres qualités. Notre homme minimise l’étendue de ses connaissances lorsqu’il explique qu’il ne travaille dans le domaine artistique que parce qu’à quatorze ans son intérêt pour l’art dépassa celui pour l’école. Mais ses expositions et ses conférences prouvent sans conteste son profond intérêt pour la théorie des proportions, les mathématiques, la philosophie et la musique. Lors d’une conférence donnée à Bruxelles en 2014, il souligne l’importance décisive du vide.
“C’est le silence entre les notes qui produit la musique,
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affirme-t-il, n’importe quelle machine pourrait jouer les notes mais c’est la manière dont l’artiste utilise les silences entre elles qui en font un art.” La récente exposition “Proportio” met en exergue la puissance du carré, du cercle et de leur association dans la séquence de Fibonacci, ainsi que dans la règle du nombre d’or. “la maîtrise des proportions a presque disparu au XXème siècle”, nous dit Vervoordt. “Dans l’Egypte antique et durant le Moyen-âge, c’était un savoir secret, ce qui prouve son importance.”

Proportio – Maaria Wirkkala Depending on, 2015, © Jean-Pierre Gabriel

Quand on lui demande comment vivre avec style, Axel Vervoordt répond qu’il préfère vivre avec art. “Chaque artiste apporte sa nouvelle pierre à la réalité. C’est l’exposition de cette réalité et du regard porté qui fait évoluer le monde.”

Le centre de son univers personnel est son château, le kastel van’s Gravenwezel, où il vit avec sa femme May. Ses deux fils gèrent de plus en plus son entreprise, tandis que le couple se concentre sur sa fondation d’art. C’est du moins ce qu’ils veulent laisser entendre. Car il y a aussi le projet “Kanaalsite”, à Anvers, où Vervoordt développe tout un projet immobilier d’habitations, d’ateliers d’artiste et de centre de services, selon le concept du “véritable village de campagne”. Ne serait-ce pas là la philosophie de vie de l’artiste-architecte-antiquaire développée à une toute autre échelle ?

Vervoordt prétend qu’il tire une très grande part de son énergie de son jardin de 25 ha. C’est, semble-t-il, un jardin très efficace. Et Vervoordt fait évoluer le monde, à sa façon, avec esprit, érudition et curiosité. “Je ne sais pas comment je suis devenu ce que je suis, dit-il, je n’avais rien planifié, j’ai suivi mon instinct et ce qui m’intéressait en tentant d’en tirer le meilleur parti à chaque instant.” L’exposition “Artempo” de 2007, la première d’une série ayant pris place au Palazzo Fortuny, fut pour lui l’occasion, à 60 ans, de partager toutes ses expériences fascinantes. “Partager est intéressant, confie-t-il, il est important de partager et de se rendre utile. C’est ce que j’ai trouvé de mieux pour le faire.”

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Proportio : installation view Piano nobile_ Palazzo Fortuny
© Jean-Pierre Gabriel. 

 

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