Jan Brink (fra)

La force de la conviction

 

Grâce au cavalier Jan Brink, tous les Suédois connaissent le dressage équestre, même ceux pour qui, auparavant, il n’existait qu’un seul sport au monde, le football.

Si ses succès sur les pistes l’ont rendu célèbre, il y a cependant eu d’autre grands cavaliers avant lui et c’est plutôt son histoire personnelle et le petit empire qu’il a réussi à bâtir qui fascine tant.

Brink est un homme charismatique. Je l’ai vu pour la première fois l’été dernier, au Falsterbo Horse Show. Sa prestance est incontestable : il est grand, mince et élégant, mais lorsqu’il prend la parole, son accent prononcé du sud de la Suède et son langage sans détour lui confère immédiatement un air plus truculent. Ses manières directes et franches effacent rapidement toute impression de frivolité mondaine que le premier regard a pu faire naître. C’est un homme qui dévoile ses pensées avec la conviction de celui qui a mis les mains à la pâte et qui connaît les réalités de la vie et de son métier.

Puis, on le découvre en présence des chevaux. Sérieux et précis, bien sûr, mais aussi espiègle et très attentionné. On sent alors un personnage complexe qui prend la vie comme elle se présente, avec ses mauvais et ses bons moments.

Beaucoup connaissent son histoire : enfant de divorcés aux parents très occupés, il débute comme jeune joueur de hockey avant de découvrir que toutes les filles suivent des cours d’équitation. Le sérieux avec lequel il effectue ses moindres tâches de garçon d’écurie lui vaut une rapide ascension vers l’école nationale d’équitation et les Grands Prix de dressage. C’est ainsi, qu’à force de travail acharné, il décroche ses titres de champion et, malgré des moyens financiers limités, commence à constituer son propre élevage et se fait un nom dans le monde des affaires.

« Je n’avais pas d‘argent, dit-il, je devais créer une entreprise pour pouvoir continuer ma carrière de cavalier. » Mais il admet aussi avoir pris énormément de plaisir à bâtir sa propriété et qu’il s’est beaucoup appuyé sur cette satisfaction lorsque ses résultats en compétition se sont avérés décevants en compétition.

Tullstorp, son écurie, est à l’image de l’implication de Brink dans ses affaires. L’endroit, qui n’était au début qu’une fermette rouge flanquée d’une étable à vaches, est devenue un haras à part entière où tout est conçu dans le moindre détail pour être aussi fonctionnel que beau. Il est le reflet de son sens esthétique, lui-même à la base de son choix de discipline. Ainsi, il raconte que « Lorsque, jeune cavalier, je participais à des compétitions d’obstacles, je demandais à mon entraîneur si ma prestation était belle. » Il lui parut donc tout naturel de se tourner vers le dressage.

Après quatre titres de champion de Suède, deux participations aux jeux olympiques et une médaille d’or à la prestigieuse coupe de Dressage d’Aix-la-Chapelle, Brink se retire de la compétition en affirmant qu’il s’agit là de l’une des meilleures décisions de sa vie. « Il faut savoir s’arrêter quand on est au sommet. » Il a beaucoup réfléchi à ce qui fait un champion et sa réponse est : « Ah… Beaucoup de choses ! » Pour Brink, cependant, le travail est primordial : « On ne peut pas se laisser aller à la paresse dans ce métier. On n’arrête jamais » Il raconte que de jeunes cavaliers pleins d’avenir venus suivre son enseignement dans son écurie sont repartis en moins d’un mois. Ils étaient simplement consternés de constater la charge de travail incombant encore à un champion tel que lui. « Mais on travaille pour sa passion » aime-t -il à répéter. De fait, on ne peut certainement mesurer son implication qu’à l’aune des épreuves qu’on est prêt à subir.

La passion de Brink n’a pas été sans risque. Il a soudainement perdu partiellement la vue au beau milieu d’une compétition et on lui a diagnostiqué un diabète dû au stress. Mais il est évident à ses yeux que le jeu en valait la chandelle. Être un champion est évidemment une activité un peu particulière. On ne l’est que si l’on obtient des résultats. Brink souligne l’importance de ne pas se laisser gagner par les phases de déconvenues. « Ca arrive à tout le monde, dit-il, on ne sait souvent pas pourquoi, mais le déclic n’est pas là et les événements s’enchaînent ainsi. Mieux vaut alors se mettre en retrait sans tenter désespérément de forcer les choses et laisser passer cette phase. »

Brink donne l’impression d’avoir analysé toutes les situations et d’en avoir tiré profit. Par exemple, il semble extrêmement attentif au raisonnement de ses interlocuteurs quand il traite une affaire. Peut-être est-ce parce qu’il doit aussi comprendre la logique des chevaux : « on ne peut pas utiliser l’avenir pour les motiver, dit-il, pour se sentir bien et accepter de travailler en symbiose, ils doivent être motivés sur l’instant. »

Que ce soit la sensibilité de Brink qui l’ait rendu exceptionnellement doué avec les chevaux et les affaires, ou que ce soit les quadrupèdes qui l’aient aidé à développer ce don, il est certain que le travail avec les chevaux est une excellente école de la vie. L’énervement et la frustration n’apportent jamais rien de bon. Quand on n’obtient pas la réaction que l’on désire, il faut persévérer patiemment dans le travail, en faisant abstraction de l’ennui, pour pouvoir progresser. De cette manière, au bout d’un certain temps, on finit généralement par parvenir à quelque chose, dans la vie comme avec les chevaux.

Ainsi, pour tous ceux qui pensent que la sérénité est ennuyeuse, il y a matière à réflexion. Après avoir entendu Jan Brink, calme et résilience me semblent toujours d’une grande actualité et si on leur allie la passion, le résultat ne peut en être que plus gratifiant.

 

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