Alessandro Melis (fra)

L’homme qui décida de rester

 

Un jeune ingénieur en informatique, Alessandro, dut faire un choix difficile lorsque son entreprise opta pour la délocalisation : soit il quittait la Sardaigne, qu’il adore, afin de conserver un emploi stable sur le continent, soit il abandonnait la sécurité de ce revenu assuré pour un avenir incertain d’entrepreneur sur l’île sinistré par la crise. Car il n’ignorait pas que c’était la seule alternative qui s’offrait à lui : il ne trouverait aucune offre d’emploi digne de ce nom sur place s’il décidait de rester.

Mais l’atout d’Alessandro fut sa passion. Ancien pilote de moto-cross, il avait découvert, quelques années auparavant, les joies du mountain-bike : un deux-roues qu’on peut utiliser aussi longtemps qu’on le désire sans craindre la panne d’essence ! Depuis ce jour, il passe une grande partie de son temps libre à pratiquer ce sport, sous forme de loisir ainsi qu’en compétition.

L’ingénieur décide donc de rester et de tenter de vivre de sa passion en ouvrant, dans sa ville natale de Cagliari, une boutique spécialisée dans le mountain-bike de haut niveau.

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Aujourd’hui, 16 ans plus tard, il ne regrette rien. Les longues heures passées à travailler d’arrache-pied ne l’ont pas rendu millionnaire, mais l’argent n’est pas le plus important à ses yeux. Il tient plus à sa qualité de vie, à la proximité de sa famille et au plaisir de travailler sur l’objet de sa passion.

Le cadre familial est important sur une île. Mais la décision d’Alessandro suscite tout de même quelques inquiétudes au début. Si son père lui fournit les subsides pour démarrer son entreprise, il reste cependant sceptique sur ses chances de réussite en choisissant de quitter un emploi pour lequel il avait été formé afin de vendre et réparer des bicyclettes. Il n’est pas le seul à douter, sachant qu’il existait déjà, par ailleurs, une boutique spécialisée dans le mountain-bike bien établie à Cagliari.

Lorsqu’on demande à Alessandro ce qui l’a, malgré tout, poussé à prendre cette décision, il offre la même réponse que Frank, l’un des fondateurs de Lofta Caffè que j’ai rencontrés pour un autre article : par choix. Il savait que ce serait difficile, il savait qu’il faudrait du temps avant qu’il y puisse gagner sa vie mais il savait aussi que tout cela en valait la peine. « Progresser à petits pas mais avec beaucoup de passion, » conseille-t-il à tous ceux qui souhaiterait suivre son exemple, « et l’énergie offert par tous ceux qui vous soutiennent est primordial : c’est rassurant quand les temps deviennent difficiles.” En effet, le soutien indéfectible des parents d’Alessandro, Franco et Antonietta, ainsi que de sa femme, Patrizia, lui a permis de ne pas perdre de vue ses objectifs et de continuer à lutter lorsque les tracas au quotidien tendaient à le décourager.

On sous-estime beaucoup l’engagement mais, avec du recul, il semble bien que cela fasse toute la différence dans l’entreprise d’Alessandro. Car « eXtreme bikes » est bien plus qu’une simple boutique. Depuis son ouverture, Alessandro offre un service complet dépassant largement la vente d’un deux-roues : il répare les vélos achetés ailleurs, propose des conseils professionnels sur les pistes et la géographie locale, participe à l’organisation de compétitions sur toute l’île, etc… Toutes choses, plus le fait qu’il pratique toujours la discipline (il est même quadruple champion au niveau insulaire) qui font de lui une autorité dans son domaine ayant la réputation d’offrir un service de très haute qualité que vous soyez un touriste de passage ou un cycliste professionnel. « Il faut prendre le temps. » Nous dit Carlo, son collaborateur. « On ne peut pas obtenir ce genre de bons résultats dans la précipitation. Trop d’entrepreneurs croient aux gains rapides, mais une véritable confiance ne peut se construire que sur le long terme. On veut que nos clients soient plus que satisfaits et qu’ils souhaitent revenir encore et encore. »

Lorsqu’on lui demande si, parallèlement à cette construction lente et résolue, il y a eu un moment décisif pour l’entreprise, un événement fondateur, Alessandro répond immédiatement en contant l’histoire de “Specialized”, une marque de moutain-bike américaine. Il fut l’un des premiers à posséder l’une de leurs bicyclettes et il l’a adorée. Mais la marque, créée par un autre passionné de deux-roues, était très peu connue à l’époque et mal représentée. Certains ont tenté de convaincre le jeune entrepreneur de promouvoir une marque plus réputée, mais Alessandro fit la sourde oreille. Il est entré en contact avec le créateur de cette entreprise qui décida alors de tenter sa chance en travaillant avec lui. Le temps passant, “Specialized” a acquis une notoriété de marque de premier rang et Alessandro ne saurait dire à quel point il est important pour lui de travailler à leurs cotés depuis leurs débuts. De plus, sous l’influence de l’ascendant que lui a conféré la clairvoyance de son choix, Alessandro est rapidement contacté par Cannondale, une autre marque réputée qui lui demande de bien vouloir travailler avec elle, s’il vous plait.

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Chez “eXtreme bikes” on ne connait pas de temps mort. Alessandro et Carlo, tout aussi passionné que son patron, sont débordés de travail, mais aucune expansion de la boutique n’est prévue. Alessandro estime qu’il aurait la sensation de perdre le contrôle : il affirme « qu’une boutique plus grande engendrerait plus de problèmes. » Mais le passé lui a démontré qu’il pouvait développer son activité sous d’autres formes, l’une d’entre elles étant sa récente implication dans la « Scuola moutain bike », l’école de moutain-bike, aux côtés de deux autres professionnels de l’île. « Le développement de réseaux est primordial sur une île comme la Sardaigne, dit-il, nous ne sommes que de petits entrepreneurs mais, ensemble, nous pouvons avoir une grande influence.”

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L’objectif d’Alessandro était de rester en Sardaigne et vivre de sa passion. Il n’avait certainement pas escompté contribuer à faire de son île une référence dans le monde du mountain-bike et, par ricochet, participer ainsi au développement d’un nouveau type de tourisme dans la région. Il fait aujourd’hui partie d’une mission mise en place par les autorités insulaires chargée d’explorer de nouvelles orientations économiques pour l’île. Pour Alessandro, l’avenir de la Sardaigne réside dans le tourisme mais pas n’importe lequel. « La mentalité du tourisme change. Les gens ne veulent plus seulement s’étendre sur une plage, il souhaitent aussi prendre part à l’histoire et profiter des paysages sous différentes formes. Nous pouvons offrir un milieu naturel extraordinaire, mais pour ce faire, nous devons d’abord le préserver. C’est une bonne chose que la région sarde nous convie, nous professionnels, à la concertation dans différents domaines en lien avec la nature. La préservation de la nature est une priorité absolue pour l’avenir de l’île ! »

L’histoire d’Alessandro est celle d’une réussite. Mais elle a été conquise de haute lutte au prix de l’abandon d’un emploi hautement qualifié dans les télécommunications et par l’ouverture de sa propre boutique. Il admet volontiers que des sacrifices ont été nécessaires, qu’il a peu de temps à consacrer à sa famille et à ses amis et qu’il subit encore de longues nuits sans sommeil et une trop grande pression fiscale. Il y a aussi eu quelques déceptions comme l’arrêt de la compétition du « Roi du château », la course spectaculaire et populaire dévalant les rues de la ville dont il était un des créateurs et que la région a cessé de financer.

Mais c’est la loi du succès : il en coûte toujours quelque chose. Nul ne le sait mieux qu’Alessandro.

Il sait pourquoi il a choisi de rester et dorénavant, son rêve est que plus de Sardes puissent le faire aussi. « Ma sœur, Susanna, a dû partir vivre en France afin de trouver un emploi correspondant à son niveau d’étude et à ses aspirations. J’aimerais qu’elle puisse rentrer ici et utiliser ses talents sur l’île. »

Hormis cela, il n’a pas le moindre regret. « Seulement, dit-il, j’aurais aimé conserver plus de temps pour mon autre passion, la musique… » Mais sait-on jamais de quoi l’avenir sera fait ?…

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