Ken Robinson (fra)

 

L’éminent Sir Ken !

Encore un personnage hors-norme. L’un de ceux qui nous affirment qu’il fait bon être humain, ce que nous avons tendance à oublier. Plus encore,que notre humanisme devrait guider la marche du monde dans une plus large mesure qu’elle ne le fait aujourd’hui, si seulement lui, Sir Ken Robinson, avait son mot à dire. Tout spécialement en ce qui concerne son sujet de prédilection : l’éducation.

C’est lors d’une conférence à New York, il, y a quelques années, que j’ai découvert Ken Robinson. Non content de séduire son auditoire avec son esprit si britannique, il a réussi à tirer plus d’une larme à tous ces cadres du monde des média qui ne sont pas des coeurs tendres en leur racontant l’histoire de jeunes exclus de la société retrouvant le goût de vivre grâces aux arts. Je crois que nous sommes tous sortis de là en nous demandant comment diable il se faisait que tout le système éducatif soit ainsi défaillant : la nécessité d’une révolution telle que prônée par Robinson semblait être une évidence !

Cependant, notre homme ne ressemble en rien au révolutionnaire habituel. Bien que californien d’adoption, Robinson exsude un académisme tout européen empreint d’une logique limpide que seuls les britanniques savent maîtriser avec tant d’aisance. Durant des années, il a défendu sa vision de la politique éducative de l’intérieur, au sein de gouvernements et d’universités, avant de devenir un auteur et un penseur reconnu. Il est professeur émérite de l’université de Warwick et a reçu de nombreuses distinctions honorifiques. En 2003, la reine Elizabeth II le fait chevalier pour services rendus au monde des arts.

Un révolutionnaire éminent adoubé par l’Establishment ? Cela a tout d’une position particulièrement confortable. Mais qu’en est-il vraiment ?

L’originalité de Robinson réside dans la prévalence, à ses yeux, du développement personnel qu’il considère comme essentiel au bien-être de nos sociétés. Pour lui, l’humain ne peut s’épanouir que sur trois principes : les êtres humains sont par nature différents et dissemblables, la curiosité est essentielle à l’apprentissage et la vie humaine est intrinsèquement créative. Ces principes, affirme-t-il, sont désavoués par la culture éducative actuelle avec sa vision étriquée de la réussite et son goût prononcé pour le conformisme. Il prône l’abandon des conceptions éducatives mécanistes au profit d’un modèle plus personnalisé et flexible où les conditions sont propices à l’épanouissement des talents individuels. Devant un avenir incertain, il nous faut un modèle qui préconise la diversité et non la conformité. “La reconnaissance des talents et des capacités sont au coeur même de l’évolution sociale, dit-il, et loin de niveler, il nous faut plutôt élever le niveau !” Il promeut une éducation basée sur une vaste variété de sujets (y compris les Arts, les Lettres et l’éducation physique), la réhabilitation du statut de professeur (“C’est un métier créatif”), une obsession moindre des tests et une aide individuelle lorsqu’elle s’avère nécessaire. “Réévaluer le statut et le soutien au professeur revient à investir : dans certains lieux comme l’Australie, le Canada, la Corée du sud et Hong-Kong, les politiques l’ont bien compris.” Nous devons créer “un environnement ouvert aux possibilités.” Mais pour sortir du système éducatif actuel, “bâti sur le modèle du fast-food qui appauvrit les esprits et les énergies”, il ne nous faut rien moins qu’une révolution. Robinson nous incite à prendre part à ce mouvement, que ce soit au niveau national ou local.

Nous adorons Robinson parce que ses idées, transmises lors de ses interventions ou dans ses livres, sont à la fois très audacieuses et d’une évidence quasi-irréfutable. Cependant, très peu de ces idées semblent être mises en oeuvre par les gouvernements, fussent-elles émises par un chevalier. L’abîme entre ce qu’intuitivement nous savons être la bonne stratégie à long terme et les impératifs, réels ou imaginaires, de la dure réalité de la vie contemporaine semble insurmontable. Et ce, malgré les bénéfices économiques incontestables que Robinson peut présenter à l’appui des ses idées.

Le point de vue de Robinson remet en question non seulement tout le système éducatif mais aussi l’ensemble de la vision occidentale de l’apprentissage en général, en réfutant une conception linéaire de la vie et en introduisant une vision organique des potentiels individuels. Cela ne convient guère aux politiques gouvernementales actuelles, avides d’une systématisation parfaite. Il est fascinant de constater combien notre époque, si riche d’humanisme, d’informations et d’échanges individuels, persiste à se soumettre à l’idée qu’un unique bon système pourra résoudre la majeure partie des problèmes de société. Personne ne contestera la nécessité des systèmes. Mais nous devons reconnaître la valeur de ce qui nous rend différents les uns des autres et sortir du cadre fermé du système. Notre individualité est notre unique valeur ajoutée. Cette valeur qui est non seulement essentielle à notre production et notre économie, pour s’en référer aux pesants critères de la politique, mais aussi au simple bien-être des gens.

Afin de développer notre potentiel, nous devons considérer l’humain et laisser l’enfant, ainsi que les moins jeunes, explorer et cultiver leurs qualités individuelles. Seule une société acceptant l’individu peut prospérer et s’épanouir à long terme. Cela peut s’avérer plus difficile à gérer – ou pas. Mais cette société sera, sans conteste, plus riche et plus dynamique. Là résident, sans doute, les clefs de la restauration de notre confiance en notre avenir, ce dont nous, occidentaux, avons un absolu besoin. Robinson nous le dit : “les organismes ne sont pas des mécaniques, nous nous développons sous certaines conditions et nous nous étiolons sous d’autres. Notre grand problème est, par conséquent, la dé-personnification de l’apprentissage et la croyance en son uniformisation.” Puis il cite Michel-Ange :

“Le pire n’est pas de viser trop haut et de rater sa cible mais de viser trop bas et de l’atteindre.”

Merci, Sir Ken.

A lire (malheureusement uniquement en anglais pour l’instant) :

-        “Out of our minds: learning to be creative”

-        “The Element: how finding your passion changes everything”

En revanche, vous trouverez au moins une intervention sous-titrée sur la Toile, à ne pas manquer !

Comments are closed.