Isabella Lövin (fra)

Remonter le courant

 

Isabella Lövin

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Isabella Lövin est arrivée à Bruxelles à dos d’anguille.

Tout débute le jour où l’ancienne journaliste gastronomique tombe sur un communiqué de presse concernant cette fascinante espèce menacée. Elle est tout autant subjuguée par le cycle de vie mystérieux et complexe de l’animal qu’elle est frappée par la rapidité de son extinction – 99% de sa population a disparu ces vingt dernières années. Et toujours aucun plan de protection en vue.

C’est alors le début d’un long périple. Lors de l’étude de l’espèce que cette fascination provoque, Isabella rassemble aussi beaucoup d’informations sur d’autres créatures marines, comme la morue (plus connue dorénavant sous le nom de cabillaud), et sur la pêche commerciale. Ou plutôt sur “les” pêches commerciales pratiquées en différents endroits du monde et sur leur impact sur l’écosystème marin.

L’histoire en est complexe puisque les pêches de subsistance traditionnelles sont maintenues en partie artificiellement (à coups de subventions) tandis qu’on élimine, progressivement mais irrévocablement, leur source de revenue : le poisson lui-même. Il ne s’agit rien moins que de politique européenne qui encourage régulièrement la pêche intensive au chalut parce que les navires de plus en plus efficaces atteignent leur quotas de plus en plus vite et achètent des droits de pêche sur les territoires des pays sous-développés, empêchant par là même les petits pêcheurs locaux de subvenir à leur besoins. Il s’agit aussi d’une altération radicale de l’écosystème menant à la disparition, d’une année à l’autre, d’énormes populations, comme dans le cas du cabillaud de Terre-Neuve, peut-être à jamais.

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Tout cela peut paraître un peu anecdotique à certains, mais les questions soulevées par cette étude touchent à notre propre survie, interrogent sur notre usage de nos ressources limitées, sur la perennité de nos moyens de subsistance traditionnels et aussi sur ce que nous pourrons manger dans l’avenir.

Cette enquête sur la petite anguille menée dans les tréfonds de la géopolitique et de l’écologie a donné naissance à un livre, “Silent seas” (le titre étant un hommage rendu au célèbre “Silent spring” de Rachel Carson), qui a remporté le grand prix du journalisme 2007 en Suède. J’ai appris l’existence de ce livre lors d’une visite en Suède la même année, alors que Lövin était interviewée dans l’un des talk-shows les plus populaires du pays. Aucun livre sur les poissons n’avait eu un tel succès jusque là ! Mais c’est un véritable thriller à mi-chemin entre l’enquête et un John Le Carré maritime. La trame en est très factuelle mais il est évident que l’auteur est très engagée dans son sujet et le livre se lit comme un roman.

Dans son livre, Lövin emmène le lecteur des mers tourmentées du Nord jusqu’au Cap Vert, elle lui décrit la migration extrêmement complexe et en partie mystérieuse des anguilles tout au long de leur vie (de la Mer des Sargasses aux canaux du continent européen, jusqu’à la Mer Baltique et retour). Elle évoque l’histoire des campagnes de pêche européennes dans l’Atlantique Nord et la situation des pêcheurs d’aujourd’hui. Elle nous parle du Parlement Européen, Isabella below waterun endroit luxueux et feutré où les pays du sud et du nord de l’Europe se réunissent en groupes afin de défendre leurs intérêts et où la guerre entre ces intérêts est bien réelle même si elle se mène sous une forme technocratique très européenne.

En 2009, Isabella Lövin est elle-même élue au Parlement Européen en tant que représentante du parti écologiste suédois. Si elle se retrouve confrontée au cynisme politique et aux obstacles administratifs (tels que les votes empêchés pour cause de problèmes mécaniques !) on peut considérer que sa présence en ces lieux a fait la différence. Son plus grand succès fut l’accord entre le parlement et le conseil de réforme de la pêche au printemps 2013, accordant l’accès prioritaire aux zones de pêche aux utilisateurs de méthodes dîtes durables et aux populations du littoral tout en durcissant les règles selon lesquelles les flottes européennes peuvent pêcher dans les eaux non européennes.

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On y a aussi fixé des objectifs pour reconstituer les populations de poissons et pour limiter le “dumping”. Un vote qui semble d’autant plus historique si l’on considère la déception de cet autre vote européen en décembre de la même année qui échoua, à quelques voix près, à bannir le chalutage de fond (un amendement âprement disputé qui aurait rendu totalement illégal ce type de chalut dans l’Atlantique Nord y a été rejeté).

Isabella-3-2Ses travaux à Bruxelles ont attiré l’attention sur la parlementaire engagée et le gouvernement suédois a demandé à Isabella d’y accepter le titre de ministre de la Coopération internationale pour le développement après la victoire de la Gauche en Septembre 2014. Ce nouveau poste permet à Lövin d’aborder conjointement les questions d’écologie et d’aide aux pays en voie de développement, deux questions dont elle connait les liens et qu’elle sait ne pas pouvoir être traitées l’une sans l’autre

Isabella Lövin est une exception dans le monde politique. Bien que, dans sa jeunesse, elle ait étudié les Sciences Politiques à Bologne pendant une année, rien d’autre, dans son parcours, ne semblait la préparer pour sa position actuelle. Journaliste de radio et de presse, elle a surtout travaillé pour des magazines féminins puis comme chroniqueuse gastronomique et culturelle. L’anguille fut l’étincelle (!) qui l’a menée à la vie pour laquelle elle était taillée, là où ses talents pourraient pleinement s’exprimer.

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Pour en savoir plus sur la politique de la pêche de l’Union Européenne :  http://cfp-reformwatch.eu/fr/

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