Résister pour préserver
Les épreuves de Concours Complet des Jeux Equestres Mondiaux 2014 se sont tenues dans l’un des hauts-lieux de l’hippisme les plus splendides et prestigieux, le Haras du Pin en Normandie.
Tandis que je m’y rendais, la vue d’une manifestation d’un tout autre ordre retint mon attention, à quelques kilomètres seulement du Pin, à Nonant-le-Pin pour être précis. Un rassemblement d’un tout autre ordre mais dont la cause a un rapport très étroit avec le Centre National pour les étalons et toute l’économie équestre de la région.
Il s’agit, en effet, de la longue histoire, bien difficile à raconter avec brièveté, d’une décision absurde, d’une entreprise évoluant en eaux troubles et d’une mobilisation locale. Mais elle vaut la peine d’être rapportée, pour illustrer à la fois la complaisance d’un pouvoir régional et le combat pour des valeurs pérennes dépassant les barrières sociales.
En 2012, une entreprise nommée GDE achète une très belle ferme de 69 ha à Nonant-le-Pin. Depuis le route principale, la propriété ressemble à un ravissant havre de sérénité, dotée d’un manoir typiquement normand posé au milieu de prés dans lesquels broutent paisiblement des purs-sangs. Il faut gravir les barreaux d’une échelle posée contre la grille d’entrée (comme je l’ai fait avec l’aimable aide du FRO*) pour découvrir l’envers de ce décor idyllique : les grands bâtiments blancs de traitement des déchets, la véritable activité de GDE. Ou plutôt, l’activité qu’elle y avait planifiée. Nous allons y revenir.
L’endroit semble assez propret, bien qu’industriel. Le problème réside dans le type de déchet qui doit y être traité : un mélange de choses variées à base de RB (“Refus de Broyages”), de DIB (“Déchets Industriels et Banals”) et de Fermentiscibles engendrant une sorte de biogaz contenant des métaux lourds, de la dioxine et des HAP, les “HydrocarburesAromatiques polycycliques”. Certaines de ces substances sont cancérigènes et tératogènes, c’est à dire un véritable danger pour la santé de l’homme et des animaux.
Le sombre passé de GDE, qui s’est attirée une très mauvaise presse pour, entre autres choses, la création d’une décharge de déchets toxiques à Abidjan en 2006, n’incite pas la population locale à se sentir rassurée.
Une enquête préliminaire à la construction du site a conduit la Préfecture à refuser le permis de construire, un refus qui a été annulé (pour raison de vices de procédure) par le Tribunal Administratif de Caen en 2011.
Si les positions des riverains étaient mitigées à l’époque, les problèmes écologiques étant opposés aux promesses d’emploi, les éleveurs de chevaux, principaux employeurs de la région, ont immédiatement réagi contre le projet, craignant une contamination de leurs animaux à la renommée internationale et une image ternie auprès de leurs clients. Plusieurs célébrités liées à la région, parmi lesquelles Luc Besson, ont aussi protesté contre le projet de GDE dès les premiers jours. En face d’eux, la Ministre de l’Environnement de l’époque, Nathalie Kosciusko-Morizet, supportait le projet industriel.
L’usine a été construite mais les villageois ont refusé de baisser les bras. A leurs yeux, le risque de contamination, qui mettrait probablement en grave difficulté l’activité équine qui fait vivre la région, est tout simplement trop important au regard de la suspicion que soulève les méthodes de GDE et ils ne peuvent l’accepter. Tout a débuté par un barrage dressé dans le centre d’Alençon, la ville la plus proche, et se poursuit avec le blocus de l’usine où les villageois se relaient 24 heures sur 24 afin d’empêcher le moindre camion de déchets d’y pénétrer.
Le nom de l’association, le “Front de Résistance de l’Orne”, rappelle celui des mouvements politiques radicaux (ce qui est probablement le but recherché) mais mâtinés d’un fond de bonne société champêtre un peu chic. “Il y va de notre intérêt à tous”, expliquent les deux hommes “de garde” du jour qui m’accueillent, en offrant une tasse de café. “Nous venons tous d’horizons très différents mais nous sommes solidaires face à ce problème. Si l’on détruit ce qui fait la valeur intrinsèque d’un endroit juste pour faire du profits à court terme, tout le village en pâtira.” Ils sont très actifs et il y a peu de visiteurs des Jeux Equestres Mondiaux 2014 ne se soient pas retrouvés avec un tract du FRO entre les mains. Un site internet très documenté fournit toutes les informations nécessaires et tous ceux qui envisagent de venir à Nonant peuvent même y acheter le badge “anti-GDE” adéquate. Les villageois ne se battent pas seuls : en sus de l’appui de célébrités ils bénéficient aussi de l’assistance capitale, et scientifique qui plus est, d’une ONG, le CNIID, “Centre National d’Informations Indépendantes sur les Déchets”. Cette appui, conséquence directe de l’implication des villageois, est à la hauteur de leur détermination.
En octobre 2015, la préfecture interdit l’entrée des déchets sur le site de GDE, fondant sa décision sur une expertise qui atteste qu’un grand nombre de caractéristiques des installations ne sont pas en règle avec le type de traitement sensible requis et censé être appliqué. La bataille est-elle pour autant gagnée ? Peut-être. Mais les villageois vont probablement continuer à camper devant les grilles tant que le site ne sera pas définitivement démantelé.
J’ai vécu moi-même dans cette région et je m’en souviens comme d’une splendeur intemporelle au rythme paisible et pleine de douceur. Mais dans cette affaire, elle a dû affronter les affres d’une dure réalité et a su y résister.
Même la bonne société champêtre peut se faire radicale, si on lui en fournit le motif.
*Le “Front de Résistance de l’Orne”