L’île aux trésors naturels
Gotland est probablement l’un des lieux les mieux préservés sur Terre. Ses paysages envoûtants de prairies, de forêts de pins, de plages de sable blanc et ses formations rocheuses bien spécifiques ressemblent fort à ceux qui y existaient déjà il y a mille ans. L’île n’accueille aucune industrie lourde et pas la moindre ligne électrique à haute tension ne vient perturber le paysage champêtre. A la descente du bateau, à Visby, la seule ville de l’île, on est transporté dans le temps.
L’île est unique en son genre. Elle ne ressemble à rien d’autre en Suède. Même en été, lorsque les touristes débarquent en masse du continent, son décor bucolique paraît épargné, paisible, hors du temps. On pourrait croire que les Vikings, dont les trésors enfouis sont fréquemment mis au jour par les fermiers lors des labours, hantent encore les lieux.
Pour autant, Gotland s’évertue à devenir un centre éducatif et entreprenarial et elle abrite une société tout à fait moderne en offrant des infrastructures de pointe et tout le confort à ses 57 000 habitants.
Lors du Sommet de la Terre, qui s’est tenu à Rio en 1992, un certain nombre de cités et d’administrations locales du monde entier ont définis, dans le plan d’action « Agenda 21 », leurs propres objectifs et se sont proclamés « éco-régions ». Gotland était l’une d’entre elles.
Depuis le tout début, communiquer et informer la population devient une priorité. Et c’est une réussite. Les témoignages d’adhésion au plan de la part des habitants sont foison et on peut en trouver des preuves sur toute l’île, sous la forme d’initiatives personnelles et de constructions plébiscitées pour l’exploitation d’énergies nouvelles.
Mais on peut se demander pourquoi : pourquoi les habitants d’un tel lieu, qui parvient à allier préservation et modernité dans le même temps, s’engagent et approuvent des mesures écologiques à fort impact sur leur vie ? Et en quoi leur exemple peut s’avérer utile à ceux qui vivent dans des endroits beaucoup plus démunis dans le monde.
Il est difficile de trouver une réponse à cette question. Les raisons semblent si évidentes qu’on n’en trouve aucune mention dans les publications officielles qui ne font état que des objectifs et des moyens développés. Bien sûr, le développement durable est une des missions officielles que s’est assignée l’Union Européenne et, par conséquent ses régions membres, depuis le rapport Brundtland datant de 1987. Mais Gotland est l’un des leaders de ce mouvement, allant bien au-delà de la législation européenne. Helena Andersson, éco-stratège pour la région Gotland, l’explique ainsi : « le développement écologique est un nécessité absolue pour une économie durable à long-terme. Le système écologique produit des ressources de diverses manières. Souvent, l’économie confère de la valeur à la mise sur le marché de certaines ressources limitées mais omet d’en faire autant avec les autres bénéfices vitaux qu’offre l’éco-système comme l’air pur, l’eau potable et le cycle naturel des matières organiques. » A ses yeux, l’écologie est une question économique. Et elle souligne l’importance qu’il y a à évaluer les fonctions de l’éco-système en ces mêmes termes. « [A Gotland] nous avons appris à valoriser le fonctionnement de l’éco-système en termes économiques. Nous avons aussi appris que des éco-systèmes sains et bien gérés constituent la condition préalable au bon développement économique de la région. » Elle ajoute que ces éco-systèmes sont tout simplement les « meilleurs modèles que l’on connaisse pour un environnement durable. »
En poussant plus loin, on se rend compte que c’est un mélange de culture, de vision économique et de marketing qui a permis à l’île de prendre cette orientation écologique. Gotland est la région suédoise dotée de la plus haute proportion de (petits) agriculteurs et d’une très haute conscience de l’importance des ressources naturelles et du bon fonctionnement de l’éco-système. Il s’y trouve aussi un très fort pourcentage de petites entreprises et d’artisans indépendants qui ne peuvent offrir que des produits de qualité, souvent avalisés par un label bio. De plus, sa population est parfaitement consciente de la singularité naturelle de l’île, qui draine les visiteurs venus du continent et le revenu qu’ils génèrent. Pour couronner le tout, dans la course à l’image de marque que se mènent les différentes régions, Gotland a décidé de s’afficher comme « île saine», ce qui justifie d’autant plus les initiatives d’énergie propre et de préservation de la nature.
L’écologie serait donc un pari où tout le monde est gagnant ? Cela semble être le cas. Si on l’analyse, cette décision paraît parfaitement logique : Gotland possède de nombreux avantages qui lui permettent « aisément » de devenir un modèle international de développement durable, dailleurs maintenant visitée par des spécialistes venus de toutes parts pour étudier sa démarche.
Pour certaines régions, le travail sera plus ardu : Gotland bénéficiait d’une image déjà bien installée dans les esprits tandis que la plupart des autres régions devront modifier la leur. Le coût élevé du travail et des ressources en Suède oblige, de toute manière, les entreprises à se battre sur le terrain de la qualité, alors que d’autres pays trouvent plus accommodant de s’imposer sur le marché grâce à une politique de bas-coûts, ce qui les astreint souvent à des méthodes anti-écologiques. Cependant, il existe aussi des difficultés structurelles : si une île est plus facile à gérer qu’une région dépendant des infrastructures continentales, dans le cas de Gotland, la faible densité de sa population a rendu sa transition vers la production d’énergie propre plus complexe.
Mais si l’étude des éco-systèmes nous apprend quelquechose, c’est précisément que chaque cas de figure comporte ses solutions propres. Gotland représente un modèle, il en existe déjà de nombreux autres et d’autres encore seront créés. Son exemple démontre cependant que seule une volonté collective peut susciter cette dynamique. Même à Gotland, les changements n’ont pas été faciles et n’auraient pas été possibles sans une collaboration entre l’administration, les habitants et les acteurs économiques. On a tendance à oublier que nous appartenons tous à la même société et qu’il va de l’intérêt de tous que cette société se développe sainement. Les avantages augmentent alors pour tous et on évite le problème d’une redistribution inégale de ressources intrinsèquement limitées. Et lorsque des gens de tous horizons s’impliquent, on peut sentir la logique de l’action et l’efficacité de l’initiative qui se manifestent dans de nombreux aspects de la vie régionale. Je le constate chaque fois que je me rends à Gotland. Cela fait du bien. C’est inspirant. Et cela crée de l’espoir en l’avenir.
Vue de la côte de Eksta, sur l’île de Stora Karlsö, l’un des éco-systèmes protégés les plus anciens du monde.
Les principes de « l’éco-société » gotlandaise.
- Eviter d’extraire les minéraux, les métaux et le pétrole plus rapidement qu’ils ne peuvent se régénérer,
- Eviter d’utiliser des substances que la nature n’a pas la capacité ou le temps de résorber, telles que le Fréon, le DDT, le PVC et le monoxyde d’azote,
- Prendre soin de l’environnement et s’abstenir d’épuiser, de manipuler ou de surexploiter les éco-systèmes, ce qui provoque la destruction de leurs capacités de reconstitution et de diversité,
- Partager les ressources afin de répondre aux besoins de l’humanité dans le monde entier.
Ces principes « simples » sont extrêmement difficiles à défendre lors des réunions du Conseil où emplois et budgets pésent plus lourd sur les décisions. L’administration locale est critiquée pour son engagement trop faible, notamment par les écologistes. Cependant, bien que les progrès annoncés par le site web du Conseil soient rarement étayés par des chiffres et bien que la préservation du niveau de l’eau soit une préoccuaption constante qui ne s’est jusque là pas avérée très concluante, l’ambition de devenir une société sans génération de pollution en 2025 semble être plutôt sincère lorsqu’on examine les efforts concrets déjà produits. Gotland affiche le taux de recyclage le plus élevé de toutes les régions suédoises et possède un plus grand nombre d’éoliennes et de panneaux solaires par habitant que le reste du pays. La bibliothèque de Visby est le bâtiment le plus économe en énergie qui soit au monde. L’administration de l’île utilise exclusivement des transports et de l’énergie propres. Une grille de chiffres clefs liés à l’environnement a été élaborée afin de mesurer l’impact de cette politique et est publiée sous forme de rapports annuels. La meilleure preuve de progrès réside certainement dans l’intérêt que l’île suscite à l’étranger. Gotland reçoit régulièrement la visite de comités venant étudier le système mis en place. Plus spécialement, les Japonais ont prêté une grande attention aux conséquence sur la roche calcaire de ce côté de la planète.
Les facteurs de réussite les plus importants du programme, selon Helena Andersson :
- Les Gotlandais ont commencé à chercher des solutions aux problèmes dans une perspective globale,
- Les présages de risques encourus par le bon développement de la région n’ont pas été paralysant mais ont mené à la collaboration et à la créativité,
- Un investissement important dans l’information, l’éducation et le changement d’attitude sur les sujets concernant le développement durable,
- La reconnaissance : le fait que les efforts de l’île soient internationalement reconnus et que Gotland soit investie d’un rôle de modèle.
Eoliennes sur le nord de l’île.