La Sardaigne

La modernité est-elle dans sa nature ?

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© Daniele Puddu / sardegna.blogosfere.it
 

L’image de la Sardaigne, en tant que destination de tourisme vert, s’impose de plus en plus depuis 3 ou 4 ans. Il suffit de taper les mots “ecoturismo Sardegna” sur Google pour s’en rendre compte et de nombreux articles de magazines étrangers de renom vantent la beauté et l’authenticité de nouvelles destinations telles, qu’entre autres, les régions de Gallura et Ogliastra, le parc national de l’archipel de la Maddalena et le parc régional de Molentargius proche de Cagliari.

Mais l’exploitation immobilière de la côte et de l’intérieur de l’île, flanquée de son absence chronique de respect pour les problèmes géologiques et écologiques (dont les inondations catastrophiques de l’automne dernier furent la conséquence) laisse planer le malaise persistant d’un éco-tourisme qui semble, parfois, légèrement trop superficiel et trop empreint de marketing pour constituer un réel engagement d’avenir.

L’île est à l’heure des choix. Son passé industriel est de l’histoire ancienne depuis bien longtemps. Les mines sont fermées et les grandes entreprises sont retournées sur le continent. Les sardes sont parfaitement conscients qu’il faut insuffler une nouvelle dynamique à cette région certes splendide mais sinistrée. Et, comme pour de nombreuses régions excentrées d’Europe, les inconvénients que représentent sa faible densité de population, son isolement et son manque d’industrie et d’infrastructure sont aussi ses plus grands attraits quand on sait y déceler une nature sauvage magnifique, la tranquilité et l’authenticité.

Le défi consisterait alors à donner du poids à cette dernière identité et à en faciliter l’accès en évitant qu’il se fasse au détriment de cette singularité et de sa confidentialité. Le tourisme vert est sans aucun doute, la voie à suivre pour atteindre cet objectif. Mais, jusqu’à aujourd’hui, malgré de nombreuses campagnes politiques et de communication, la région ou les acteurs privés n’ont pas su fournir l’effort suffisant pour que cet élan prenne vraiment corps.

En effet, des initiatives sont nées, sous forme de création de parcs naturels et d’un renforcement de la législation concernant le développement littoral. Mais, comme l’expliquent Jala Makhzoumi et Gloria Pungetti dans leur livre “Ecological Landscape Design and Planning” (Spon Press, 1999-2005), la mise en oeuvre de cette législation est trop peu supervisée sur le terrain, laissant la porte ouverte à de multiples infractions non sanctionnées. De plus, les auteurs affirment que la planification au niveau régional, malgré l’implication de la population, s’avère insuffisante et engendre une impression d’iniatives désordonnées bien différente de ce qui se passe sur une autre île éco-responsable comme Gotland, dont nous avons déjà parlé dans un article précédent, où les décisions politiques semblent émaner d’une concertation avec les aspirations individuelles.

L’initiative individuelle est indispensable. C’est elle qui pousse certains à transformer un village de campagne désert et sans intérêt, perdu au milieu de nulle part, en un lieu de découverte pour tous les amateurs de sport, de gastronomie, de culture ou plus simplement de beaux paysages et de grands espaces. Alessandro Melis, sujet de l’un de nos portraits ce mois-ci, est un exemple frappant de ces initiateurs. Son investissement personnel dans le développement du Mountain Bike sur l’île, en permettant à des étrangers d’y pratiquer cette activité dans les meilleures conditions possibles, transmue les superbes mais arides et très sauvages montagnes sardes en un véritable terrain de jeu. Le changement est radical, pragmatique et mesurable : dans ce cas précis en terme d’augmentation du nombre de visiteurs et de locations de bicyclettes. De plus, et c’en est une conséquence positive, cela sensibilise d’autant plus la population à la valeur intrinsèque de ses ressources naturelles.

Et malgré cela, pas le moindre geste n’est fait envers les petits entrepreneurs, que ce soit sous forme de subvention, de crédit d’impôt ou de soutien des start-ups. S’il est heureux que la Région, via une mission regroupant quelques entrepreneurs du secteur touristique, tire conseil des différents acteurs promouvant la nature de l’île et réellement impliqués sur le terrain, il le serait encore plus de soutenir et d’amplifier ce mouvement afin que d’autres jeunes sardes entrevoient leur propre avenir sur l’île.

Aujourd’hui, la Sardaigne est en crise. Les dirigeants actuels de l’île mènent un lobbying actif à Rome et auprès de l’Union Européenne pour devenir une « Zone Franche Intégrale » apte à fixer elle-même ses propres taxes de manière indépendante, afin de favoriser la création d’entreprises dans la région. Il ne faut cependant pas perdre de vue les éventuels effets collatéraux de l’établissement d’une telle « ZFI » qui pourrait tout autant favoriser la bonne vieille exploitation immobilière des côtes que son développement écologiquement responsable.

De petites initiatives peuvent totalement changer la donne, comme nous l’avons déjà évoqué dans certains articles de People and Places. Transformer le monde ne requiert pas nécessairement des millions de dollars : il suffit pour cela de quelques personnes vraiment engagées, dévouées à un lieu et à une certaine façon de vivre. Des personnes vouées à rester imperturbablement optimistes.

Le tourisme de masse haut de gamme sarde s’est avéré peu fructueux pour la majorité de la population et a été l’un des piliers de la destruction de l’équilibre écologique du littoral. Une nature vivante, fût-ce sur la côte ou à l’intérieur de l’île, génèrerait une économie différente, basée sur une multitude d’acteurs non institutionnels, se développant localement et, très certainement, de manière durable. Des gens comme Alessandro le savent déjà et comprennent l’importance de la création de réseaux et de l’entraide dans l’élaboration d’un tourisme typiquement sarde attirant un nouveau type de visiteurs, avides de nature, de beauté, d’action et de rencontre avec une population capable de transmettre les richesses culturelles, passées et présentes, de la région et de croire en son avenir.

Nous espérons sincèrement que la Sardaigne saura suivre cette voie. C’est une région exceptionnelle dotée d’un fabuleux potentiel, en partie encore inexploré, et d’une personnalité européenne singulière bâtie sur le croisement d’une multitude de sphères culturelles à travers son histoire. Car la Sardaigne a toujours été cela : un lieu de rencontre. Nous espérons donc qu’elle saura rester fidèle à son identité et qu’elle pourra tirer pleinement partie de son potentiel. Elle le mérite véritablement.

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